Valorisation du doctorat : le gouvernement se penche sur l'insertion des diplômés

Malika Butzbach Publié le
Valorisation du doctorat : le gouvernement se penche sur l'insertion des diplômés
Le gouvernement réfléchit à des pistes pour valoriser le doctorat dans le monde de l'entreprise. // ©  kasto/Adobe Stock
Le 17 novembre 2023, les ministres Sylvie Retailleau et Roland Lescure confiaient une mission à Sylvie Pommier et Xavier Lazarus visant à "valoriser au mieux" le diplôme du doctorat. Cette mission devra proposer des pistes, notamment pour améliorer la poursuite de carrière des docteurs en entreprises, au printemps prochain.

"Malgré les mesures et en dépit d'améliorations réelles ces dernières années, le doctorat souffre encore d'une trop faible valorisation sur le marché du travail", constatait Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (Mesr) le 17 novembre, en clôture du colloque de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), intitulé "Pour un plan national en faveur du doctorat".

En ce sens, la ministre, ainsi que son homologue à l'Industrie, Roland Lescure, ont confié une mission à Sylvie Pommier, présidente du réseau national des collèges doctoraux, et à Xavier Lazarus, managing partner d'Elaia (un fonds d'investissement spécialisé dans la Tech).

Cette mission vise à "renforcer les dispositifs existants et à proposer des actions nouvelles ou des nouvelles mesures, d'ici le printemps 2024, qui permettraient d'accroître la part de docteurs parmi les chercheurs en entreprise et la part d'ingénieurs s'engageant dans une thèse de doctorat" (voir l'encadré).

Un diplôme de doctorat en manque de reconnaissance

Une annonce qui réjouit les acteurs de l'enseignement et de la recherche qui partagent ce constat : le diplôme de doctorat manque de reconnaissance. "Encore plus dans le secteur privé. Par exemple, il n'y a pas toujours de distinction entre le diplôme d'ingénieur et le doctorat dans les grilles salariales au sein des entreprises", illustre Pierre Lemonde, directeur du collège doctoral de l'Université Grenoble-Alpes.

Pour Boris Gralak, du SNCS-FSU, le doctorat s'apparente comme "un malus pour l'emploi" des diplômés. Selon l'enquête nationale du RNCD (Réseau national des collèges doctoraux) de 2022, seuls 56% des doctorants se déclarent confiants pour le futur.

Un manque de reconnaissance qui s'explique notamment par la "dualité de l'enseignement supérieur français", partagé entre les universités et les grandes écoles, pointe Virginie Dupont, vice-présidente de France Universités.

La plupart des décideurs français, ne sont pas issus de l'université et n'ont pas d'expérience de la recherche, ajoute Pierre Lemonde. "En Allemagne, souvent la moitié des membres du gouvernement sont titulaires d'un doctorat, ce qui est moins fréquent en France, illustre le physicien. Outre-Rhin, ce diplôme bénéficie d'une réelle reconnaissance sociale, ce qui est moins le cas en France."

Une baisse de 10% des effectifs doctorants en dix ans

Ce manque de valorisation a des effets concrets, en premier lieu la baisse des effectifs des doctorants dans les universités françaises. "Cette tendance s'observe depuis près de dix ans avec une baisse de près de 10% des inscriptions entre 2011 et 2021", souligne Clarisse Angelier, déléguée générale de l'ANRT.

Sur l'année 2022, on compte près de - 4% de primo-inscrits que l'année précédente. Et cette diminution est encore plus spectaculaire en mathématiques (-10,1%) ainsi qu'en physique et chimie des matériaux (-14,7%).

Sans doctorants, on n'a pas de docteurs, donc pas d'enseignants-chercheurs, ni de chercheurs. Et donc pas de recherche. (V. Dupont, France universités)

"Le risque est que cette baisse des effectifs entraîne un décrochage de la recherche française, observe Virginie Dupont. Sans doctorant, on n'a pas de docteurs, donc pas d'enseignants-chercheurs, ni de chercheurs. Et donc pas de recherche."

Des pistes de réflexions sur la table pour mieux valoriser le doctorat

Depuis quelques années, le doctorat fait l'objet de politiques publiques spécifiques, en premier lieu certaines mesures de la LPR (Loi de programmation de la recherche), de 2020.

"Mais ces mesures sont avant tout financières, précise Sylvie Pommier qui cite l'augmentation des rémunérations des doctorants, mais aussi la hausse des contrats de thèses financés et des thèses Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche). Mais il y a d'autres choses, complémentaires, à faire. C'est tout l'objet de la mission."

La présidente du RNCD évoque les liens entre entreprises et doctorants durant la formation. Du côté de France Universités, Virginie Dupont parle du développement du doctorat en apprentissage.

Autre piste évoquée par plusieurs acteurs interrogés : le financement de la recherche par le secteur privé. En France, la part du PIB consacré à la R&D stagne autour de 2,2% depuis 20 ans. "En favorisant l'intérêt des entreprises à la recherche, on les intéressera à l'embauche de doctorants. Et inversement !" sourit Pierre Lemonde. "La France a un système d'aides publiques pour la R&D privée, contextualise Boris Gralak. Pourquoi ne pas utiliser ces aides comme un levier d'incitation pour l'embauche de docteurs ?"

Cependant, le secrétaire général du Syndicat national des chercheurs scientifiques souligne le sous-investissement chronique qu'a subi la recherche depuis plus d'une dizaine d'années. "Forcément, ce décrochage budgétaire se répercute sur le doctorat."

Des profils et compétences intéressantes pour les entreprises

D'autant que ce ne sont pas les débouchés professionnels qui manquent pour les diplômés, et pas seulement dans le secteur universitaire. "Si, au début du doctorat, 90% des étudiants de l'université Grenoble Alpes veulent faire une carrière académique, 53% d'entre eux travaillent dans le privé trois ans après leur diplôme. Ce taux est de 39% au niveau national, indique Pierre Lemonde. Ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle ou le résultat de frustration : durant les années de thèse, des horizons peuvent s'ouvrir !"

Il faut donc valoriser les compétences que peuvent acquérir les étudiants pendant leur doctorat. "Certes il y a les compétences académiques pures liées à leur sujet de recherche, mais aussi des compétences pluridisciplinaires. Ainsi que d'autres compétences liées au management, précise Virginie Dupont. Enfin, les universités proposent aussi des formations spécifiques pour ces étudiants, comme dans le cadre de Ma Thèse en 180 secondes."

Ces profils sont plus qu'intéressants pour les entreprises face aux transitions à venir, qu'elles soient numériques, énergétiques ou écologiques. "Les docteurs sont une vraie plus-value pour aborder ces évolutions : par rapport aux ingénieurs qui sont formés pour sécuriser la démarche de l'entreprise, ils prennent plus de risques. Une capacité intéressante pour les entreprises, et pas seulement en R&D !", sourit Clarisse Angelier.

L'objectif de 20% d'ingénieurs en doctorat "extrêmement ambitieux"

La dualité de l'enseignement supérieur entre universités et grandes écoles ne doit pas être un clivage, estime Clarisse Angelier de l'ANRT. "Il faut au contraire encourager les ponts entre les structures, notamment en encourageant les étudiants ingénieurs à continuer en thèse".

Actuellement, ils sont 6%, un taux "légèrement inférieur à ce que l'on observe pour l'ensemble des diplômés de master dans les disciplines correspondantes", indique la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI).

Le MESR souhaite atteindre 20% d'étudiants ingénieurs poursuivant leurs études jusqu'au doctorat. Mais la conférence estime que cet objectif, "extrêmement ambitieux, ne pourra être atteint que dans une perspective de long terme". Y répondre revient "à doubler le nombre de doctorants en sciences et technologie".

Malika Butzbach | Publié le